Il y a des joueurs qui loin des modèles de carrières toutes tracées se heurtent à des obstacles face auxquels le commun des mortels aurait dès le départ abdiqué. Des forçats du football, malchanceux, au mauvais endroit au mauvais moment, naïfs ou tout simplement humains, oscillant entre déboires et rendez-vous manqués, bercés par les fausses promesses, et qui pourtant jamais ne cessent de croire qu’un jour la roue tourne. Lorsque Ousmane Baldé, milieu de terrain de 28 ans, regarde derrière lui, c’est une nuée de regrets qu’il devrait observer dans son sillage. Follement optimistes, ses yeux voient autant d’expériences qui forgent un caractère. Aujourd’hui à la recherche d’un nouveau défi, la Coupe d’Afrique des Nations 2019 en tête, l’international guinéen a décidé de raconter son histoire.

Les nuits se suivent mais ne se ressemblent pas. Si les dernières furent agitées, cauchemars dont on ne parvient pas à se réveiller, les premiers pas d’Ousmane au football ont tout du rêve. Une histoire débutée à Créteil (94), où il joue jusqu’à ses 16 ans, avant un déménagement intra-muros. Un saut de puce qui lui permet de fréquenter le Paris Université Club (PUC) puis le CA Paris, club du 14e arrondissement de la capitale. Rêve de tout jeune tapeur de ballon francilien, il est repéré par le Paris Saint-Germain en 2010. Alors âgé de 20 ans, il rejoint un club en plein doute, où l’ère Colony Capital touche à sa fin. « J’avais signé un contrat de deux ans au Paris Saint-Germain. Il a fallu m’habituer, je venais d’un club où l’on s’entraînait trois fois par semaine et j’arrivais dans un autre où il y avait un entraînement par jour. Il a fallu que mon corps s’adapte, » se souvient Ousmane.

Une blessure qui lance la carrière d’Adrien Rabiot…

Chez le 13e de la saison 2009/10, Ousmane débute avec l’équipe réserve, en CFA, sous les ordres de Bertrand Reuzeau. « Le premier à croire en moi, » souligne le joueur. Au fur-et-à-mesure, son corps s’adapte au jeu et le milieu révélé tardivement se voit invité à fréquenter la classe supérieure. À 21 ans, à l’aube de sa deuxième saison à Paris, la première de l’ère Qatarie, Ousmane est convoqué par le coach de l’équipe première, Antoine Kombouaré. Il participe aux entraînements avec le groupe pro et côtoie les nouveaux venus Javier Pastore, Blaise Matuidi et Mohammed Sissoko. Malgré de réelles perspectives et des discussions avancées, le limogeage de Kombouaré, remplacé à la trêve hivernale par Carlo Ancelotti, change la donne. L’Italien profite de cette nouvelle fenêtre du mercato pour renforcer son effectif. Thiago Motta arrive au milieu. Un joueur au même profil qu’Ousmane, l’expérience en plus.

« Le premier match d’Ancelotti, en Coupe de France face à Saint-Colomban Locminé (CFA 2), j’étais dans le groupe. La rencontre de championnat suivante (face à Toulouse, ndlr), il me convoque une nouvelle fois. Mais une blessure à la cheville m’éloigne ensuite des terrains et les oblige à appeler un nouveau joueur. » Ce renfort, venu remplacer Ousmane Baldé, n’est autre qu’Adrien Rabiot. Le jeune milieu de terrain, alors âgé de 17 ans, fait plus que répondre aux attentes du coach italien. Il ne quitte plus le groupe, au détriment d’Ousmane, et à l’issue de la saison 2011/12 c’est lui qui se voit offrir un premier contrat professionnel. Le début d’une carrière solide pour le jeune milieu frondeur, le début des galères pour Ousmane Baldé. « Assez jeune dans ma tête à l’époque, je n’ai pu cacher ma déception. J’ai préféré aller tenter ma chance ailleurs, à l’étranger. »

« Fréjus-St-Raphaël, ma pire expérience dans le football »

C’est l’Espagne qu’il choisit à l’été 2012 et Getafe. L’attirance du jeu à espagnol, « inculqué au PSG ». Dans la banlieue de Madrid, Ousmane doit faire ses preuves. Il signe un contrat U23, d’une saison. « La carotte, » dit-il. Celle qui nous anime tous. Accepter d’agir car poussé par l’appât du gain, fût-il illusoire. S’il réussit, le joueur se verra offrir un contrat pro de trois ans dans le club qui évolue à l’époque en deuxième division espagnole. « Les premiers mois se sont très bien passés, j’ai enchaîné beaucoup de matches avec la réserve. Arrivé le mois de janvier, dans ma tête c’était certain que le contrat allait arriver. Mais à la reprise, le coach décide de ne pas me faire jouer face à Valence et l’Atlético. Ce choix soudain m’a semblé suspect. » Ousmane demande des explications et la direction azulona temporise. À la fin de la saison, les promesses s’envolent, la porte se referme.

Après son expérience espagnole, Ousmane Baldé retrouve la France. Direction le Var, sa côte méditerranéenne et son club de football, l’Etoile-Fréjus-St-Raphaël. Une formation qui évolue en National et qui au printemps 2014 est impliquée dans une affaire de match truqué. Suspendu ce soir-là, Ousmane ne prend pas part à cette rencontre face à Colomiers (1-4), qui voit le gardien Jean-Zéphirin et le défenseur Fall se lancer dans une parodie de football pour faire perdre les leurs. Quatre buts à zéro à la 20e minute. Trop grosse est la supercherie. L’affaire est aujourd’hui devant les tribunaux. Ousmane, lui, se sent trahi. « Cela a été le moment où j’ai ressenti le plus de dégoût dans le football. L’ambiance était vraiment spéciale. On avait une équipe assez jeune, une belle équipe. Certains ont brisé cet élan. Il n’y avait plus de confiance. J’ai attendu la fin de saison et je suis parti. D’autres aussi. »

Barré par Marco Simone à Tours

Après cette expérience traumatisante, Ousmane pense arrêter. Un break de six mois. « J’ai eu la chance de pouvoir compter sur mes proches, d’anciens coéquipiers aussi, qui me disaient que le foot c’est comme la vie, cela peut aller vite, aujourd’hui tu peux être tout en bas et demain tout en haut. Lève-toi, entraîne-toi. » C’est à Tours qu’il fait son retour sur les terrains, en janvier 2015. En principe. Mais, là-encore, rien ne passe comme prévu. Alors qu’il dispose d’un accord avec le Président Ettori, après un essai concluant, la DNCG gèle les contrats du club tourangeau dans les dernières heures du mercato hivernal. Pendant six mois, Ousmane s’entraîne avec le groupe qui évolue en Ligue 2, sans pouvoir prendre part aux rencontres du championnat. C’est avec la réserve, en CFA 2, qu’il joue le week-end. Quand l’été arrive, alors qu’Ousmane a pris son mal en patience, un nouveau coach débarque sur le banc du Tours FC. Marco Simone. « Il est venu avec ses joueurs, »raconte Ousmane, un peu amer. L’épisode du PSG se répète et c’est une nouvelle promesse qui s’évapore.

La D2 portugaise comme plus beau souvenir

À l’été 2015, c’est le coach italien Cristiano Bacci, désormais assistant de Răzvan Lucescu sur le banc du PAOK, qui demande à Ousmane Baldé de le rejoindre à Olhanense, club de l’Algarve qui évolue en D2 portugaise. « Un coach qui vient d’arriver au club et te veut, te propose d’être au cœur d’un projet, dans un cadre sublime, en bord de mer, dans le sud du Portugal, » tout semble réuni pour que le joueur s’épanouisse enfin. De cette expérience, qu’il juge comme la plus enrichissante de sa carrière, il garde une anecdote marquante sur sa relation avec son coach. « Blessé à la cheville et indisponible un mois à l’entame de la saison, le coach me met quand-même sur le banc alors que je ne peux pas courir. Il me fait entrer en fin de match, lors de rencontres importantes, face à des gros, mais moi je suis en souffrance. Au bout d’un moment je décide d’aller lui parler, de lui demander pourquoi il me fait entrer alors que je ne suis pas remis ».

Le coach italien réagit très mal aux questionnements de son joueur. Pendant deux mois, Cristiano Bacci n’adresse plus la parole à Ousmane. Le joueur revient à son niveau mais les relations ne s’arrangent pas, jusqu’à un match important contre le Sporting Braga. Alors que l’équipe reste sur plusieurs revers, le coach le titularise au pied levé. Surpris et motivé comme jamais, Ousmane délivre une passe décisive et inscrit un but lors de la victoire 2-0 d’Olhanense. « Après avoir marqué, je célèbre en mettant mon doigt sur ma tempe pour montrer au coach que c’est le mental qui joue. Là, il m’a pris dans ses bras et m’a dit « ça y est, tu as compris ». » Le joueur parle de « sa meilleure saison », une saison aboutie, lors de laquelle il a « énormément appris mentalement et tactiquement ». Mais là-encore, après l’éclaircie, retour dans l’obscurité. Ousmane ne reste pas, la stagnation en D2 n’ayant pas permis au club de disposer d’un budget suffisant.

Exil bulgare et président indécis

Voyageur et curieux, Ousmane fait le choix de l’exotisme et rejoint la Bulgarie. Il s’engage en faveur du FK Vereya au début du mois d’octobre 2016. Le club fondé en 2001, basé à Stara Zagora, profite de la refonte du championnat de première division bulgare pour rejoindre l’élite à l’orée de la saison 2016/2017 et cherche à se renforcer. « Cela a étonné pas mal de personnes au début, après une expérience au Portugal où j’ai beaucoup joué. Je suis allé visiter la ville, le centre d’entraînement, je me suis renseigné auprès d’amis qui étaient là-bas. On m’a dit que c’était un championnat où si tu es bon, tu auras de la visibilité. Dès le départ, on m’a aussi prévenu qu’il y avait des problèmes de salaires. » Optimiste, Ousmane veut jouer, être exposé et faire le plus de matchs possibles. Après une première saison satisfaisante, à l’été 2017 il est proche de rejoindre la Russie, mais le président de Vereya refuse au tout dernier moment de le laisser partir.

Les six premiers mois d’Ousmane, version 2017/2018, sont concluants. Arrive janvier et la fenêtre des transferts. La Ligue 2 et la Süper Lig turque se penchent sur le profil d’Ousmane, qui, habitué des retournements de situations, retient son souffle à quelques jours de la fin du mercato. Le président hésitant – trop gourmand ? – fait de nouveau parler de lui et bloque le départ de son joueur. Bis repetita pour Ousmane, qui devra aller au terme de son contrat en Bulgarie, où il sera payé au lance-pierre (40 à 60% du salaire avec plusieurs mois de retard, le joueur a ouvert un litige auprès de la FIFA, ndlr), refusera de jouer et poursuivra un entraînement en solo, pour garder la forme. Un club qui voit également filer son coach ainsi que le contingent de joueurs français qui partageaient le vestiaire avec Ousmane. Conséquence de la fuite de ses talents, aujourd’hui, le FK Vereya végète à la dernière place du championnat de première division bulgare.

La CAN 2019 comme motivation ultime

Si l’histoire d’Ousmane Baldé en club a pris à maintes reprises une tournure dramatique, son expérience en sélection est tout autre. Appelé pour la première fois par le sélectionneur Mohamed Kanfory Bangoura, le milieu de terrain fait ses débuts avec le Syli National le 24 mars 2017, à 27 ans, 2 mois et 22 jours, lors d’une rencontre amicale disputée au Havre, face au Gabon (2-2). Toujours convoqué depuis, il prend part à la victoire inattendue de la Guinée en terres ivoiriennes il y a plus d’un an, pour le compte de la 1ère journée des qualifications à la CAN 2019 (2-3) et dispute ensuite les qualifications pour la Coupe du Monde 2018, dans un groupe A dont la Tunisie sort vainqueur. Ousmane Baldé n’est pas du dernier rassemblement de la Guinée, dont le technicien belge Paul Put a pris les rênes en mars dernier. Toujours très proche du staff et de Kaba Diawara en particulier, il croit savoir que l’on compte encore sur lui.

« On a une génération assez jeune, avec des joueurs qui jouent dans de grands clubs comme Naby (Keïta, à Liverpool, ndlr), François (Kamano, Bordeaux, ndlr), les Pogba (Florentin et Mathias ont choisi d’évoluer pour le Syli National, ndlr), on a vraiment une belle génération, de quoi faire pour la qualification et pour la CAN. Le groupe est assez homogène, avec des joueurs plus expérimentés, il y a une bonne ambiance et un nouveau coach qui est arrivé, avec une façon de jouer intéressante. Tout se passe très bien. On a aussi un président qui est toujours proche de ses joueurs et répond présent quand on a besoin de lui, donc tous les voyants sont au vert pour réussir. » Il y a deux semaines, la sélection guinéenne a remporté son deuxième match de qualification face à la Centrafrique (1-0) et fait un grand pas vers le Cameroun, où sera disputée la CAN 2019, en juin prochain. Ousmane Baldé a encore le temps de prendre le train en route.

Manque de chance ou mauvais choix ?

« Je dirais les deux. Tu peux faire un bon choix, en ayant bien étudié la question, en ayant une proposition concrète et derrière manquer de chance. Ça peut ne pas marcher. Tu peux aussi opter pour un choix un peu douteux, en t’accrochant, en travaillant, en y croyant, et la chance te sourit. L’expérience devient alors intéressante. Je pense avoir fait quelques mauvais choix dans ma carrière, mais c’est vrai que j’ai aussi manqué d’un peu de chance à certains moments. J’ai encore le temps, j’ai 28 ans, j’ai encore sept belles années devant moi, ce n’est pas fini, je ne suis pas mort, loin de là. Je suis un croyant, j’accepte, je passe à autre chose. Je connais mes qualités, je sais ce que je vaux. En France, on ne me connaît pas vraiment. J’ai bougé et je cherche aujourd’hui la stabilité. Qu’un club de Ligue 1 ou de Ligue 2 me fasse confiance. De toute façon, je ferai mes preuves sur le terrain. Je dis toujours « c’est le rectangle vert qui parle ». Ce qui se passe dans le bureau du Président, je ne peux pas le contrôler, mais ce qui se passe sur le terrain, c’est mon boulot. » Le message est passé pour celui qui a des touches en Ligue 2.

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