Le président français a rencontré samedi à Paris son homologue turc, avec lequel il a également évoqué la question du respect des droits de l’homme.
Face au président turc Recep Tayyip Erdogan, venu chercher le soutien de Paris pour une relance du processus d’adhésion de son pays à l’Union européenne (UE), Emmanuel Macron a fait le choix du parler vrai. « Il est clair que les évolutions récentes et les choix de la Turquie ne permettent aucune avancée du processus engagé », a déclaré le président français lors de leur conférence de presse commune, vendredi 5 janvier.
Jamais un chef de l’Etat français n’avait aussi clairement appelé, en s’adressant directement à son homologue turc, à en finir « avec l’hypocrisie qui consiste à penser qu’une progression naturelle vers l’ouverture de nouveaux chapitres de négociation est possible ».
Et de suggérer de « repenser cette relation non pas dans le cadre du processus d’intégration mais d’une coopération, d’un partenariat ». « La finalité, c’est de préserver l’ancrage de la Turquie et du peuple turc dans l’Europe et de faire en sorte que son avenir se construise en regardant l’Europe et avec l’Europe », a-t-il insisté, avouant que « l’Europe n’a pas toujours bien fait vis-à-vis de la Turquie, en laissant croire des choses possibles alors qu’elles ne l’étaient pas totalement. »
La plupart des dirigeants de l’UE, surtout depuis la dérive autoritaire qui a suivi le coup d’Etat manqué de juillet 2016, ne croient plus à la possibilité dans un proche avenir d’une adhésion pleine et entière de la Turquie comme le souhaite, au moins en parole, Ankara. En septembre 2017, la chancelière allemande, Angela Merkel, alors en campagne électorale, avait même déclaré lors d’un débat télévisé être favorable à l’arrêt des négociations. Les autorités françaises, si l’on excepte le quinquennat de Nicolas Sarkozy, étaient quant à elles toujours restées plus floues.
Isolement diplomatique d’Ankara
Avec ce pays qu’il juge un partenaire stratégique essentiel, le président français suggère « un dialogue apaisé qui tiendrait compte des réalités d’aujourd’hui ». C’est vague et très loin des attentes de l’homme fort d’Ankara, qui comptait sur celui qu’il appelle son « ami » Emmanuel Macron pour renouer avec l’Europe et sortir de son isolement diplomatique.
Avec son habituel parler cru, Recep Tayyip Erdogan n’a pas caché son irritation. « Les premiers pas du processus d’adhésion datent de 1963 et cela fait donc maintenant cinquante-quatre ans que la Turquie attend dans l’antichambre de l’UE. Aucun autre pays n’a été traité de la sorte », a-t-il martelé, affirmant : « Cela nous a fatigués » et « cela nous pousse à prendre des décisions : on ne peut pas en permanence implorer une entrée dans l’UE ». Le leader de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie depuis 2002, brandit régulièrement depuis deux ans la menace d’un référendum sur l’adhésion à l’UE.
Emmanuel Macron a tenu son engagement d’évoquer lors de leurs entretiens les atteintes aux droits de l’homme et un certain nombre de cas concrets de dirigeants d’ONG, de journalistes, ainsi que celui du mécène et figure de proue de la société civile Osman Kavala. « L’Etat de droit ne se divise pas. (…) Une opinion, si elle n’est pas une invitation au crime ou à des thèses terroristes, c’est une opinion et elle doit pouvoir s’exprimer librement », a expliqué le président français, appelant aussi Ankara à préserver son ancrage dans la Convention européenne des droits de l’homme.
Un pas vers une relance de la coopération militaire
- Erdogan a rétorqué en évoquant les nécessités de la lutte contre le terrorisme. « Il ne se crée pas tout seul, il y a des jardiniers du terrorisme, hommes de pensée et d’idées qui, dans leurs écrits, apportent de l’eau au moulin du terrorisme », a-t-il lancé avant de s’en prendre, quelques minutes plus tard, à un journaliste de l’émission « Envoyé spécial » qui lui posait une question sur des soupçons de livraisons d’armes à des groupes djihadistes par Ankara en 2014.
Une grande partie des entretiens a porté sur les crises régionales, et notamment sur la question syrienne. Emmanuel Macron a évoqué une « communauté de vues et d’intérêts stratégiques » afin de construire la paix avec la dimension « la plus inclusive possible ».
Très symboliquement, juste avant le début de la conférence de presse, a été aussi signé le contrat pour l’étude d’un système de défense aérienne et de missiles mené en commun par la société franco-italienne Eurosam et les sociétés turques Aselsan et Roketsan. C’est un pas vers une relance de la coopération militaire avec les Occidentaux après qu’Ankara a signé un contrat avec la Russie pour des missiles sol-air S 400 qui suscite l’inquiétude de ses partenaires de l’OTAN.