Tout-puissant sous Alpha Condé, le groupe turc Albayrak est parvenu à se maintenir sous la junte dirigée par Mamadi Doumbouya. En dépit des différends, plusieurs hommes maintiennent le dialogue entre le pouvoir guinéen et le conglomérat, très lié au président turc
Erdogan.
Malgré la méfiance de Mamadi Doumbouya vis-à-vis du puissant conglomérat turc Albayrak, la junte au pouvoir n’a d’autre choix que de composer avec lui. Via sa filiale locale, Alport Conakry, créée en 2018, la holding a remporté, en avril, à la surprise générale, le marché de l’extension de l’aéroport Ahmed-Sékou-Touré à Conakry, un projet estimé à 200 millions de dollars. Albayrak est l’un des principaux leviers d’influence de Recep Tayyip Erdogan, qui va tâcher de se faire réélire ce week-end à l’issue du second tour de la présidentielle. Avec des échanges commerciaux qui sont passés de 20 millions d’euros en 2016 à plus de 500 millions aujourd’hui, la Guinée demeure l’un des pays d’Afrique de l’Ouest les plus stratégiques pour la Turquie.
L’idylle entre Ankara et Conakry a commencé en 2016. A mi-mandat, le président turc avait décidé de renforcer son influence sur le continent par une tournée ouest-africaine qui l’a mené en Guinée. Venu accompagné d’une centaine d’hommes d’affaires turcs, Recep Tayyip Erdogan a choisi de miser sur Albayrak pour concurrencer la Russie et la Chine, partenaires privilégiés de nombreux pays africains.
Connexion familiale
holding turque a pu s’implanter en Guinée grâce au lobbying du sident Erdogan qui a noué, au cours de la dernière décennie, yne ation très forte avec l’ex-président guinéen Alpha Condé. Propriété de famille Albayrak, cette firme s’est imposée dans le monde des affaires en rquie grâce notamment à ses liens avec le chef de l’Etat turc. L’un des ritiers, l’homme d’affaires Ahmet Albayrak, est un ami intime de Recep yyip Erdogan et le père de Berat Albayrak, une figure montante du irti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir). Ce dernier est
également l’époux d’Esra Erdogan, la fille du président.
Berat Albayrak a occupé des postes de premier plan dans son pays. Tout d’abord en tant que ministre du trésor et des finances (2018-2020), puis en tant que vice-président du fonds souverain turc. Au fil des années, le groupe Albayrak s’est mué en canal diplomatique et économique de la Turquie en Guinée, éclipsant même – avec la fermeture de l’école du prédicateur Fethullah Gülen à Conakry – la diplomatie traditionnelle, qui privilégie une expansion par la culture et l’éducation.
Adali, visage et VRP
Les contrats entre Albayrak et l’Etat guinéen se sont toujours scellés de gré à gré. Le groupe a doté sa filiale de puissants relais chargés d’entretenir l’influence turque dans le pays, et de diversifier ses activités.
Au Port autonome de Conakry
(PAC), Albayrak s’appuie tout
particulièrement sur Mustafa Levent Adali, directeur général de la filiale et visage de l’entreprise en Guinée. Son poids s’est renforcé depuis la chute d’Alpha Condé en septembre 2021. La junte dirigée par Mamadi Doumbouya, qui entretient des relations compliquées avec Ankara du fait de la proximité entre le président déchu et Recep Tayyip Erdogan, traite directement avec le DG d’Albayrak.
En véritable ambassadeur des intérêts économiques de la Turquie, Mustafa Levent Adali joue également les promoteurs dans la sous-région.
Albayrak scrute ainsi de près le Mali dirigé par le colonel Assimi Goïta, qui a tourné le dos aux partenaires occidentaux. C’est dans ce cadre que le DG guinéen d’Alport a été dépêché à Bamako en mars 2022. Après avoir soutenu les autorités maliennes lorsque le pays était sous sanctions économiques de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) – les marchandises maliennes arrivaient depuis le port de Conakry -, il a tâché de les convaincre de faire le choix de la Turquie à travers Albayrak. Reçu par le premier ministre Choguel Kokalla Maïga, Mustafa Levent Adali a manifesté la volonté de la holding turque de s’installer sur le marché industriel malien.
Homme de l’ombre
Adnan Uçcan, le conseiller juridique d’Alport Conakry, est l’un des maillons clés du groupe en Guinée. Cet homme de l’ombre qui n’apparaît jamais publiquement avait, à l’époque d’Alpha Condé, toutes ses, entrées au sein du palais présidentiel de Sékhoutouréya. Pour fluidifier le canal entre Conakfy et Istanbul (où est basé le siège de la holding), ce juriste de formation, qui est parfaitement francophone, vit désormais entre les deux capitales.
Forte de sa croissance, à Conakry, l’entreprise détient le contrat de gestion du terminal de vrac du port de Conakry, et s’occupe de la réhabilitation et de l’extension du terminal 4 – concession du groupe Bolloré vendu en «décembre 2022 à l’armateur italo-suisse MSC (Mediterranean Shipping Co). En retour, le conglomérat s’est engagé à investir 500 millions de dollars en vingt-cinq ans.
Relais entre Ankara et Conakry
Gestionnaire du terminal de vrac du PAC, du Port sec de Kagbelen (ancienne propriété du groupe Bolloré) et du transport public à Conakry, chargé du contrat de ramassage des ordures dans la capitale guinéenne, Albayrak est devenu si puissant qu’il agit directement dans les dossiers diplomatiques les plus sensibles. En juillet 2022, lorsque Alpha Condé a quitté la Guinée pour Istanbul, où il vit désormais en exil, c’est l’entreprise turque qui a fait le relais entre Ankara et Conakry. C’est elle qui a également affrété un jet privé afin que l’ancien président puisse quitter le pays sans ses documents administratifs, confisqués par la junte depuis sa chute.
L’implication d’Albayrak a été telle qu’en septembre 2022, lorsque Mamadi Doumbouya a réclamé le retour du président déchu, c’est sur Alport ‚Conakry qu’il a fait pression. Pour montrer sa détermination, il avait donné l’ordre à la gendarmerie de débarquer à la direction du groupe au Port autonome afin d’en fermer les locaux. Albayrak a finalement remporté ce bras de fer et la firme a pu reprendre ses activités quelques jours plus tard, sans que Conakry obtienne le retour d’Alpha Condé.
Africaintelligence