Chef de l’Etat, Colonel Mamadi DOUMBOUYA
Monsieur le Président !
Je m’adresse à vous avec les inquiétudes d’un jeune qui, le 5 septembre 2021, a cru en votre discours de prise de pouvoir et qui vous invite à considérer, non pas les maladresses indépendamment de sa volonté, mais les préoccupations légitimes et sincères d’un citoyen soucieux de l’avenir de son pays.
Je voudrais continuer à croire en vos nobles ambitions affichées lors de cette journée historique où, vous et vos frères d’armes, avez eu le courage de renverser un pouvoir chaotique au prix du sang et de la vie de certains compatriotes.
Je suis conscient que mes mots ne peuvent saisir toutes les implications actuelles liées à votre fonction ni pénétrer le secret de vos motivations. Cependant, je vis au sein de ce peuple au nom duquel vos décisions et actions cherchent légitimité et opportunité. Ce peuple qui, en grande majorité, aspire à la réussite de la transition que vous dirigez depuis plus de deux ans, par la volonté du destin.
Monsieur le Chef de l’Etat, je tiens à souligner aussi que tous ceux, parmi ce peuple qui ne partagent pas vos décisions ne souhaitent pas nécessairement votre échec. Au contraire, ils vous invitent à ajuster minutieusement toutes vos actions sur cette voie de l’espoir, de l’assurance et de la victoire que vous leur avez montrée depuis les premières heures de votre pouvoir.
Nulle prétention de ma part à vous instruire quoi que ce soit sur la gestion d’un pays. Mais la Guinée, de par son histoire, ses défis actuels et ses aspirations, est d’une grande complexité pour être dirigée d’une autre manière que celle d’un lieu où la pluralité des opinions peut et doit s’exprimer. Les citoyens, en groupe ou individuellement, devraient être librement en mesure de donner leur avis sur la gestion des affaires publiques. Il vous incombe, en tant que « Père de la nation », d’écouter ces opinions et d’en tenir compte lors de vos prises de décision.
Face à la situation actuelle du pays, légitime est l’inquiétude quant à l’issue de la Transition en cours avec certaines préoccupations qui dévient ou obstruent les promesses faites le 5 septembre 2021. Parmi lesquelles préoccupations nous pouvons regretter :
– La restriction de l’accès à l’internet et à l’utilisation des réseaux sociaux. Cette mesure, en plus de porter atteinte à l’un des droits fondamentaux des citoyens en l’occurrence la liberté de communication et de l’expression, rend le quotidien des Guinéens de plus en plus cher dans un monde où les activités liées à l’internet sont pratiquement inhérentes à la vie socio-économique. Et vous avez, sans doute, été témoin du rôle essentiel qu’a joué l’internet, malgré cette restriction, dans la chaîne de solidarité mise en place par les Guinéens suite à cet incendie meurtrier qui vient d’endeuiller tout le pays.
– La perturbation et la limitation des diffusions des programmes des médias à grande écoute du pays sans motifs avoués. En plus du fait que cela constitue une atteinte à la liberté d’expression, de communication et au droit à l’information, cela pourrait favoriser la prolifération des rumeurs et la psychose à chaque occasion si les médias censés filtrer les informations sont restreints dans leurs activités. Sans souligner la répercussion de cette mesure sur les activités commerciales de ces entreprises de communication où les emplois des Guinéens pourraient être menacés.
– L’interdiction intemporelle des manifestations, qui viole outrageusement la liberté d’opinion et du droit à la manifestation, consacrés et protégés non seulement par des conventions internationales auxquelles notre pays est partie, mais aussi par la Charte de la Transition tenant lieu de la Constitution.
Ces mesures constituent une entrave notoire à la construction d’un État démocratique où la liberté d’expression doit permettre non seulement aux citoyens d’exprimer leurs opinions et leurs savoirs pour le progrès de la nation, mais aussi aux dirigeants d’être clairement situés sur les préoccupations réelles des gouvernés afin de mieux maitriser les priorités dans la conduite des affaires.
– La crédibilité décroissante de la justice. Les Guinéens se souviennent encore de votre fameuse phrase qui a suscité beaucoup d’espoir au lendemain de votre prise de pouvoir selon laquelle la justice sera la boussole qui guidera vos différentes actions. Cependant, très fort malheureusement, il est regrettable de constater aujourd’hui que l’indépendance de la justice peine à s’affirmer par la politisation des poursuites visant certains citoyens en dehors de toute procédure légale ; la persécution des magistrats qui ne voudraient se soumettre qu’à l’autorité de la loi ; des difficultés d’exécution des décisions de justice et des lenteurs délibérées dans le traitement des dossiers au détriment du bon fonctionnement de la justice, garant de tout État de droit.
– La succession des évènements inquiétants avec leurs cortèges des pertes en vie humaine et de nombreux dégâts matériels importants. Les deux derniers sont l’attaque de la maison centrale de la capitale par un groupe armé dont 6 personnes (civiles et militaires) ont perdu la vie selon le Ministère de l’Information et de la Communication et cet incendie meurtrier du principal dépôt de carburant du pays ayant coûté la vie à plus d’une vingtaine de citoyens, des centaines de blessés et plus de 10 mille personnes affectées avec des importants dégâts matériels, selon la Primature. Ces événements sont de nature à faire régner un sentiment d’insécurité et d’incertitude au sein de la population qui peine déjà à joindre les deux bouts.
– L’incertitude quant à l’orientation de la Transition en cours. Certes vous ne manquez pas de rappeler, à chaque occasion, votre engagement de ne pas être intéressé au pouvoir lors des prochaines élections ; cependant, la mise en place des différents points du chronogramme de la Transition devant aboutir à ces élections semble être en sourdine dans un délai encore imprécis. Ainsi, il se pose une sérieuse inquiétude quant à l’issue de la Transition en cours conformément aux espoirs que son avènement a donné naissance.
Eu égard à toutes ces situations, je voudrais vous suggérer, Monsieur le Président, d’ordonner :
– Le rétablissement normal des moyens de communication, de l’information et de l’expression des opinions, permettant ainsi au peuple de s’informer et d’exprimer librement ses opinions en respectant, bien-sûr, les lois de la République. Et de considérer les avis contraires, non pas comme des tentatives de défiance, mais des occasions précieuses pour éclairer votre lanterne dans chaque prise de décision qui engage le peuple.
– De communiquer au peuple à chaque fois que c’est nécessaire sur les sujets d’intérêt national et d’exiger du professionnalisme aux autorités porteuses de la parole publique dans les communications officielles.
– L’application effective de votre volonté affichée au lendemain du 5 septembre, d’instaurer un système judiciaire crédible et indépendant au service de l’État de droit.
– La mise en place des conditions nécessaires à l’organisation des élections libres et transparentes aboutissant au retour à « l’ordre constitutionnel » conformément au chronogramme de la Transition.
– La continuité du processus de dialogue sincère et inclusif avec les acteurs sociopolitiques.
C’est ainsi, selon ma compréhension, que vous poserez des jalons d’un véritable Etat démocratique pour l’évènement duquel vous êtes « allés à la mort ».
Je cite François Hollande, l’ex Président de la République française, qui écrivait dans son livre intitulé « Les leçons du pouvoir » : « Présider la France, c’est épouser son malheur ». Cette évidence est sans doute transposable à la Guinée et je suis convaincu que, avant de vous engager le 5 septembre 2021, que vous étiez conscient des défis qui vous attendaient. Je ne doute pas, encore, de votre capacité à les relever, en restant, bien-sûr, fidèle à la logique des engagements que vous avez pris devant le peuple de Guinée, le monde entier et l’Histoire.
Cher Président, je crois encore que rien n’est tout à fait perdu et que vous avez toujours la possibilité d’honorer vos engagements. Marquez de la plus belle des manières l’histoire de ce pays au passé à la fois glorieux et douloureux !
Rappelez-vous les promesses du début auxquelles le peuple a cru et redressez la conduite sur la voie de ces paroles d’honneur ! Comme la grande majorité des Guinéens, je prie sincèrement pour votre réussite dans cette mission certes lourde et difficile, mais exaltante et possible, grâce à votre volonté inébranlable et votre patriotisme à toute épreuve.
Que Dieu bénisse la Guinée et les Guinéens ! Qu’il vous assiste dans toutes vos actions salvatrices pour le peuple de Guinée !
Toutes mes prières !
Recevez, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération !
Sinè SIDIBE
Juriste-Ecrivain
Citoyen Guinéen