La Guinée est le pays du « pleurer-rire », celui aussi de toutes les absurdités où l’on se plaît, depuis des lustres, à ramer à contre-courant de l’histoire, persiste à s’allier aux bourreaux contre les victimes, aux tyrans contre le peuple. On peut regretter le triste sort réservé chaque fois à une population passive et résignée, comme on ne peut s’empêcher de condamner l’attitude et la mentalité déplorables des commis et de la caste des « lettrés » qui se compromettent avec tous les régimes, sans jamais se soucier de leur honneur personnel et de celui de leurs familles, se préoccuper de leur héritage pour la postérité.
La Guinée a manqué, de tout temps, de citoyens libres, conscients de leurs devoirs, prêts à défendre leurs droits et libertés au prix de la vie, s’il le faut. Cette terre fertile où poussent facilement les mauvaises herbes, réceptacle aussi des pires canailles, continue de souffrir de la corruptibilité, de la versatilité et de la vénalité à la fois de ses « élites » que de ses enfants naturels, plus nombreux, que ses dignes et legitimes fils et filles qu’il faudra apprendre à compter du bout des doigts. Un homme qui a faim n’est pas libre, dit l’adage.
Et comme la population a toujours été maintenue dans la misère pour qu’elle soit à la merci des dirigeants incapables et criminels, qu’elle soit obligée de tendre la main et d’attendre d’être prise en charge, elle se contente de peu, habituée à rien. En clair, elle se conforme à toute servitude qui lui est imposée et à la chienlit qu’on lui fait subir.
» Science sans conscience, n’est que ruine de l’âme » selon Rabelais. Jamais, il n’aura raison autant que dans le moule guinéen. C’est seulement en Guinée, que le savoir, la connaissance, l’érudiction, servent à promouvoir le mal et tous les vices, à soutenir l’impensable, à plaider la cause du diable, à plaire aux tyrans.
C’est comme si le temps s’était arrêté et que Dieu avait retiré sa bénédiction aux Guinéens, auxquels il revient maintenant d’assumer, pleinement, les conséquences dramatiques de leurs propres choix . Si l »on refuserait de croire le pays maudit, on doit admettre qu’il est un havre où l’on s’interdit d’avoir une conscience, l’on tire profit de la servilité, l’on propospère dans le culte de la personnalité, l’art de la bouffonnerie et de la mendicité.
Certes, Ahmed Sekou Touré, le père de l’indépendance et premier président de la République, n’a pas permis que l’esprit critique se développe, a étouffé dans l’œuf, toute velléité de contestation et de revolte, bref, a conduit le peuple de Guinée comme un berger avec son troupeau, mais, le pays qu’il a légué, n’est plus le même, car le monde a changé et d’autres Guinèens sont nés. Peut-être que de ce phénomène historique vient la difficulté d’une césure forcée, étant donné que la Guinée demeure balotée entre les nostalgiques de la dictature qui ont encore de l’influence dans les sphères du pouvoir et leur mot à dire dans la société et les Démocrates et Républicains qui, chaque fois, qu’ils pensent avoir pris le dessus, se rendent compte que la résistance à l’avènement d’un Etat de Droit, à un véritable printemps démocratique est plus forte qu’on ne l’imagine.
Les prometteurs et acteurs de la dictature renaissent toujours de leurs cendres et semblent aussi avoir plusieurs vies. C’est pourquoi, la rupture ne dure pas longtemps, le pays, chaque fois qu’il fait un pas en avant, recule de plusieurs années en arrière. Une répétition fastidieuse de l’histoire, un signe indien que la Providence n’a pas encore aidé à vaincre définitivement.
La Guinée, ne s’en sortira-t-elle pas donc jamais ? Une nouvelle fois encore, elle s’enfonce dans la sinistre dictature avec le soudard Mamadi Doumbouya, accueilli en héros avec sa promesse de rompre avec toutes les tares du passé et d’ouvrir une ère de toutes les espérances. Mais, voilà que lui aussi s’engage dans la voie du déshonneur, du despotisme, de la malédiction du parjure, aidé en cela comme d’habitude par une élite courtisane qui mange à tous les râteliers. Il descend dans la fosse aux lionnes. parce qu’il se voit ‘applaudi « et soutenu », bien sûr, en apparence, par un peuple imaginaire, surtout adoubé par une meute sauvage qui a appris à s’adapter à toutes les situations pour avoir la paix et parfois pour jouir de gains faciles.
Une nouvelle saison est ouverte pour les chasseurs de primes, l’armée de coureurs de postes, de prvilèges et d’honneurs d’Etat, les lascars dont le pays seul a le secret. Toute la lie de la société est remontée en surface, tous les damnés du pays reviennent au devant de la scène dans une course folle au trésor, dans un concours de démagogie et d’hypocrisie, une èmulation dans l’indignité.
Le Général auto-proclamé, prédateur, perfide, déloyal qui se ment a lui-même et trompe les autres, a en face de lui des « pique-assiettes » qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, ne pensent qu’à leur panse, ne sont fidèles qu’à eux-mêmes dans leur infidélité chronique, n’éprouvent aucune gène que la main qui leur donne les commandes aussi longtemps qu’elle continuera à donner. Une foire de bêtes sauvages, un mariage de loups qui finiront par se manger entre eux, l’un après l’autre.
En voyant tout ce spectacle mortifère, on est tenté de croire que la Guinée semble vouée à un destin loin d’être enviable: les plus médiocres mènent par le bout du nez les plus méritants et brillants, parce que les uns savent qu’ils ont des des limites qu’il leur faudra dépasser par les forfaitures et l’imposture, les autres se fixent des limites à ne pas franchir pour ne pas transgresser les valeurs et violer les principes d’éthique et de morale.
En fin de compte, la Guinée devient avec le maléfice de la pyramide renversée, un Etat où un peuple s’offre en agneau de sacrifice aux bouchers de la démocratie et de l’Etat de Droit. Un peuple mouton dirigé d’une main de fer, dans l’arrogance et la délinquance par une bande d’ignares et de charognards, est le triste décor de la Guinée en ce siècle de toutes les lumières et des plus grandes conquêtes. Jusqu’à quand ?
Samir Moussa