L’affaire qui oppose la Loterie Nationale de Guinée (LONAGUI) et l’Autorité de Régulation du Secteur des Jeux et Pratiques Assimilées (ARSJPA) prend une tournure inhabituelle. Le directeur général de la LONAGUI, Mohamed Baba Sylla, a été convoqué la semaine dernière à la gendarmerie dans une affaire qui, de l’avis de nombreux observateurs, n’avait rien à y faire.
En cause , un contentieux administratif relatif au versement de redevances estimées à plusieurs milliards de francs guinéens. Pourtant, ce litige avait déjà été débattu au sein du conseil d’administration de la LONAGUI.
Tout commence en janvier 2024, lorsque la LONAGUI reçoit une lettre de notification de l’ARSJPA lui demandant le paiement de plusieurs redevances, dont celles destinées au Trésor Public et au Fonds d’Appui au Développement Social (FADS). Contestant le bien-fondé de ces demandes, la LONAGUI sollicite un arbitrage de la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique.
Par courrier en date du 3 avril 2024, le ministre de l’Économie et des Finances tranche : il demande à la LONAGUI d’honorer ses obligations, mais uniquement sur des comptes bancaires du Trésor Public, et non sur des comptes commerciaux ouverts en toute irrégularité.
Face à cette décision, la LONAGUI demande des justifications précises à l’ARSJPA, notamment les bases légales et comptables des sommes réclamées. En réponse, l’ARSJPA transmet un lot de documents, incluant des décisions réglementaires internes établissant les taux et les assiettes des redevances sur les jeux de hasard.
Deux experts mandatés pour examiner ces pièces concluent à leur fragilité juridique. Selon eux :
• L’ARSJPA n’a fourni aucune preuve de prise en charge comptable des montants réclamés.
• Les décisions 006 et 007 du Directeur Général de l’ARSJPA n’ont aucune base légale.
• Le Directeur Général d’un Établissement Public Administratif (EPA) ne détient pas de pouvoir réglementaire.
• L’article 34 du décret 0045 du 28 janvier 2023 encadrant l’ARSJPA précise que son Directeur Général est un simple exécutant des décisions du Conseil d’Administration.
En d’autres termes, les taux et assiettes des redevances définis par l’ARSJPA sont contestables en droit.
Des fonds perçus sur des comptes illégaux
Autre point soulevé : la gestion financière de l’ARSJPA. Selon une note technique adressée le 29 octobre 2024 par le président du conseil d’administration de la LONAGUI au général Amara Camara, ministre secrétaire général à la présidence, l’ARSJPA perçoit ses fonds sur des comptes logés dans des banques commerciales, en violation des règles budgétaires en vigueur.
L’article 71 de la Loi Organique Relative aux Lois de Finances (LORF) interdit en effet l’ouverture de comptes bancaires commerciaux pour les fonds publics, sauf dispositions spécifiques inscrites dans une loi de finances.
Malgré ces irrégularités, l’ARSJPA persiste dans ses demandes et fait appel à la gendarmerie pour contraindre la LONAGUI et son directeur général à s’exécuter. Une démarche surprenante, tant il est inhabituel qu’un différend purement administratif débouche sur une convocation de dirigeant en brigade.
Alors que l’affaire prend une ampleur inattendue, la question demeure , s’agit-il d’une simple méprise administrative ou d’une tentative d’imposer par la contrainte des décisions dépourvues de fondement légal ? Une chose est sûre, le dossier risque de susciter encore bien des remous dans les couloirs du pouvoir.
Abdoul Latif Diallo
Journaliste d’investigation
Très très indépendant