Les revenus de la compagnie gérant les intérêts de l’Etat guinéen dans le secteur minier ont fortement progressé. Pilotée par Aboubacar Kagbé. Touré, elle commercialise directement une partie des minerais extraits, notamment avec des partenaires chinois. Mais l’emprise grandissante de la junte sur la société alarme les institutions financières internationales.
Dix ans après la création de la Société guinéenne du patrimoine minier
(Soguipami), son « directeur général Aboubacar Kagbè Touré affichait sa satisfaction sur ses résultats annuels, tout juste validés, lors de Mining Indaba, la grand-messe du secteur en Afrique, qui se tenait début février 2023 au Cap, en Afrique du Sud. A son poste depuis un an, il se targuait d’un chiffre d’affaires de 135, milliards de francs guinéens – plus de 14 millions d’euros – et d’un résultat net de 80 milliards de francs guinéens. Et mentionnait au passage que la Soguipami venait de distribuer 50 milliards de dividendes à l’Etat, et avait payé 35 milliards d’impôt sur les sociétés.
Ces chiffres sont modestes par rapport à ceux des géants. Miniers publics historiques que sont la Gécamines en RDC (AI du 02/12/22) ou de la Société nationale industrielle et minière (SNIM) en Mauritanie (AI du 24/03/21). Ils marquent pourtant une progression conséquente des revenus de la Soguipami, gestionnaire des participations de l’Etat guinéen dans quinze projets miniers de bauxite, d’or et de fer en Guinée : elle n’affichait en 2021 que 144 milliards de francs guinéens de résultat net en 2021, et seulement 42 milliards en 2019 (environ 460 000 €). Cette augmentation est notamment due à la hausse des dividendes de la production minière du pays (23 % sur les trois premiers trimestres pour la bauxite), et donc des volumes dévolus contractuellement à la Soguipami, ainsi que celle des prix de ce minerai utilisé pour la fabrication de l’aluminium, toujours portés par la demande chinoise. Cette croissance est aussi
« Liée à une montée en puissance des équipes de la Soguipami, pilotées par le DG, appuyé par Rahynatou Diallo, directrice générale adjointe ainsi que par Noëlle Curtis, directrice des partenariats et du marketing.
Les fidèles du patron de la junte
Les performances et la stratégie de la Soguipami sont supervisées de près par le chef de l’Etat Mamadi Doumbouya, qui a nommé les DG et DGA actuels en février
2022. Le président et colonel; qui tient un discours souverainiste sur le secteur minier, a repris à son compte les ambitions de son prédécesseur Alpha Condé
(2010-2021), qui a porté la Soguipami sur les fonts baptismaux en 2012 : augmenter les revenus miniers de l’Etat et faire de la compagnie publique le catalyseur des projets extractifs dans le pays. Le patron de la junte, au pouvoir depuis le coup d’Etat du 5 septembre 2021, a missionné plusieurs fidèles pour veiller au grain en son nom sur la Soguipami, en particulier son conseiller principal Bocar Baila Ly, nommé administrateur de la société publique. Ce dernier•
Est en lien avec Djiba Diakité, le directeur de cabinet du président, et avec le colonel Amara Camara, très influent. Les trois proches du chef de l’Etat sont devenus incontournables sur les dossiers miniers du pays. En comparaison, le ministre des mines, Moussa Magassouba, de plus en plus mis à l’écart par la junte (AI du 17/06/22), fait pâle figure, même s’il est officiellement président du conseil d’administration de. La Soguipami.
Djiba Diakité préside d’ailleurs le comité stratégique du mégaprojet de fer du
Simandou, où siègent également Bocar Ly. Ce sont eux qui ont• l’oreil Doumbouya pour trancher dans les discussions de Conakry avec les groupements menés respectivement par le géant anglo-australien Rio Tinto sino-singapourien Winning International Group (AI du 28/02/23). Djiba Diakité Bocar Ly ont d’ailleurs imposé l’attribution à la Soguipami de 15 % d’actions gratuites de la Compagnie du TransGuinéen (CTG), coentreprise qui doit gérer les infrastructures liées au projet. Cela n’allait pas de soi au départ, compte tenu
« Investissements de plus de 10 milliards de dollars qui sont nécessaires pour les construire.
Trois grands partenaires clés
L’augmentation des revenus de la Soguipami provient d’abord des parts que l’Etat détient dans huit projets miniers actuellement en production, dont les trois plus importants sont dans la filière bauxite : la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG, dans lequel Conakry disposé de 49 % du capital), la Société minière de Boké
(SMB, 10 %) ainsi que Chalco (15 %). Ces parts ont été attribuées à titre gratuit – jusqu’à 15 % – et négociées à la signature de chaque convention. L’Etat a le droit, à travers la Soguipami, de monter jusqu’à 25 % du capital, mais il doit dans ce cas acheter les parts complémentaires à celles qu’il a eues gratuitement, ce qui n’a encore jamais été fait, compte tenu des moyens restreints de la compagnie publique jusqu’à présent.
La Soguipami place ses administrateurs pour la représenter au sein de chacune des sociétés dans lesquelles elle détient des parts – huit en production et sept en développement. Ceux-ci peuvent être des fonctionnaires issus de la compagnie publique ou des ministères des mines et des finances mis à disposition de la Soguipami pour cette tâche: Aboubacar Kagbè Touré siège ainsi aux, conseils d’administration des sociétés locales de Chalco et Bel Air Mining (BAM, filiale du britannique Alufer Mining), Noëlle Curtis à celui d’Ashapura Minechem.
Deux accords de commercialisation avec un Européen et un Chinois
Sous la houlette de Mamady Fofana, venu de la Banque africaine de développement (BAD), DG de la Soguipami de 2017 jusqu’à son limogeage par Doumbouya, en février 2022, la compagnie publique a développé une expertise en matière de négoce de bauxite. Cette stratégie a été poursuivie par son successeur Aboubacar Kagbè Touré. Une fois un projet minier en exploitation, la Soguipami peut en effet exercer son « droit de commercialisation » sur une part de la production, au maximum jusqu’à son pourcentage de participation au capital.
Plutôt que de revendre l’intégralité de ses volumes aux miniers, ce qu’elle faisait jusqu’alors, la Soguipami a commencé à signer des contrats de commercialisation d’une partie de ses, cargaisons. Après un premier accord en 2020 avec l’anslo-allemand Dadco, pour 300 000 t de bauxite issues de ses volumes de la CBG (dont Dadco est actionnaire), la Soguipami a commencé à dialoguer aussi avec des acheteurs chinois. En 2022, elle a notamment signé un contrat de vente de bauxite avec la State Power Investment Corp (SPTC) visant l’approvisionnement des alumineries chinoises de ce groupe étatique.
Les relations de la compagnie publique avec les plus grands miniers du pays sont actuellement plutôt apaisées. Depuis que l’homme d’affaires franco-guinéen Fadi Wazni, jadis proche d’Alpha Condé, se fait plus discret (AI du. 25/10/22), les rapports de la Soguipami avec la SMB, premier exportateur de bauxite du pays – 36 millions de tonnes en 2022 – se sont normalisés. Le courant passe également avec la CBG, minier historique en exploitation depuis 1973. Filiale à 51 % de Halco Mining (groupement entre Alcoa, Rio Tinto et Dadco) et présidée par Souleymane Traoré depuis 2017, la compagnie, qui a exporté 16 millions de tonnes en 2021, s’est pliée aux demandes des autorités de mutualisation de son chemin de fer avec les autres miniers.
Ashapura en délicatesse
En revanche, les discussions sont plus compliquées avec certains partenaires plus petits en phase de développement. Les relations avec Ashapura (AI du 08/07/22) se sont ainsi particulièrement tendues ces derniers mois. La compagnie publique
Impatiente face aux difficultés du groupe indien, dirigé en Guinée par Sudheer Todabole, à faire avancer les infrastructures logistiques attenantes à ses deux vermis miniers près de Boffa et Dubréka (Guinée maritime).
La Soguipami, maintenant qu’elle a quelques moyens, entend devenir véritablement un acteur minier; menant ses propres projets, dans l’exploration dans un premier temps, et demain en exploitation. La compagnie publique a récupéré à cet effet plusieurs permis miniers, y compris en dehors de la filière bauxite, notamment celui du gisement de fer de Zogota – repris à Niron Metals (AI du 25/10/21), dans l’or, dans la région de Siguiri, et les diamants, près de Kérouané (est).
Le FMI et la Banque mondiale s’inquiètent
Les spécialistes de la transparence extractive, notamment la BAD et l’américain Natural Resources Governance Institute (NRGI), qui ont conseillé les dirigeants de la compagnie publique ces dernières années, reconnaissent ses efforts de transparence pour clarifier et diffuser ses comptes et ses activités. Mais la donne pourrait changer lorsque les sommes en jeu deviendront importantes, au fur et à « mesure qu’augmentent la valeur de ses participations et ses volumes de minerais commercialisés
Les représentants à Conakry de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international (FMI) regardent aussi de près ce qui se passe à la Soguipami. Ces bailleurs de fonds de la Guinée ont deux préoccupations en tête : l’endettement de la compagnie, et sa gouvernance. Dans leurs discussions avec les autorités guinéennes depuis la fondation de la société publique en 2012, ils ont notamment conditionné leur assistance financière au pays au fait que la Soguipami ne se lance pas dans des projets miniers avant d’être bénéficiaire, et que cela n’entraîne pas d’endettement inconsidéré.
Les organisations de Bretton Woods ont aussi insisté sur l’indépendance de la direction générale de la compagnie par rapport au pouvoir politique, et en particulier la présidence. En 2019, lorsqu’Alpha Condé a rattaché un temps la Soguipami à ses services, elles étaient montées au front, ce qui avait poussé „l’ancien président à rendre la tutelle à son ministre des mines. C’est encore le cas formellement, mais, dans les faits, via Bocar Ly, le colonel Amara et Djiba Diakité, cette indépendance vis-à-vis de la présidence n’est pas une réalité.
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