Au tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la Cour d’appel de Conakry, lors de sa comparution à la barre dans sa participation présumée aux évènements du 28 septembre 2009, le Colonel Claude Pivi a étalé ses prouesses dans l’Armée guinéenne. Il a ainsi affirmé qu’il a été celui qui avait sauvé le Général Lansana Conté lors des évènements des 2 et 3 février 1996.
Dans une interview exclusive accordée à votre quotidien d’information générale et d’investigation Depecheguinée, Maitre Fodé Abass Bangoura, l’avocat d’un des principaux acteurs de ces évènements, apporte un démenti formel aux allégations de Claude Pivi.
Lisez !
Depecheguinée : Bonjour Maitre ! Lors du passage du Colonel PIvi à la barre au cours du procès du massacre 28 septembre 2009, il a déclaré que c’est lui qui a sauvé le Général Lansana Conté au cours des événements des 2 et 3 février 1996. Dites-nous quel est votre sentiment en tant qu’avocat ayant pris part au procès des mutins des 2 et 3 février 1996 et surtout en tant qu’ancien avocat de celui que toute la Guinée pensait être le sauveur du Général président ? Je veux citer le Lieutenant Mory Laye Kébé…
Maitre Fodé Abass Bangoura : Je vous remercie de m’avoir donné la parole afin d’éclairer la lanterne de nos compatriotes guinéens sur ces douloureux évènements qui continuent toujours à garder ses mystères.
D’abord, c’est un sentiment de fierté qui m’anime après avoir participé à un procès d’une telle envergure, c’est à partir de ce procès que les Guinéens se sont rendus compte de la qualification et de l’expérience des avocats guinéens. C’est le lieu de remercier la RTG et tous les autres journalistes qui ont, à leur tour, relayé l’information avec professionnalisme. Merci à tous !
Pour répondre maintenant à votre question, je dirai tout simplement que c’est avec beaucoup de déception que j’ai entendu le Colonel Claude Pivi dire à la face du monde et surtout des Guinéens que c’est grâce à lui que le Général Lansana Conté a été sauvé lors des évènements des 2 et 3 février 96. Qu’un ancien Ministre de la Guinée se permette de déformer une page de l’histoire récente de notre pays, c’est vraiment effrayant.
Je ne vais aborder tous les détails comme mon client veut écrire un livre sur ces évènements, je vous dirai tout simplement ceci : comme c’est le Général Lansana Conté qui a été sauvé, donc, logiquement il connaissait mieux que quiconque celui qui l’a sauvé, non seulement, il était présent sur les lieux, il disposait aussi de tous les services de renseignements du pays qui lui remontent les informations en temps opportun. Donc, il connaissait mieux que n’importe qui, ce qui s’est réellement passé. Je sais qu’il a été très reconnaissant envers son sauveur, puisqu’après l’avoir gracié, il l’a fait venir au Palais pour lui demander en présence du Commandant Alpha Oumar Boffa Diallo (AOB) ce qu’il pouvait faire pour lui, Kébé a répondu qu’il voudrait envoyer son père à la Mecque. Tellement le général était étonné, il lui a accordé deux places au lieu d’une. Il lui a ensuite demandé qu’étant issu d’une famille riche que toute la Guinée connait, pourquoi son père n’est pas allé depuis. Kébé a répondu que c’est par principe, son père lui aurait dit un jour, que son souhait est que ce soit un de ses enfants qui l’envoie à la Mecque et c’est pourquoi, lui aussi a fait de cela la priorité de ses priorités.
Mieux, quelques jours après lesdits événements, lorsque les Services de renseignements ont informé le Général de la menace qui pesait sur mon client, après que certains de ses compagnons non satisfaits du rôle qu’il a joué ont exprimé leur volonté de régler son compte, il lui a demandé de venir rester à ses côtés au Camp Samory, ce qu’il a accepté après avoir discuté avec quelques éléments de son groupe dont je tais les noms pour le moment. Et c’est de là-bas par jalousie qu’il a été arrêté et conduit à la Maison centrale de Conakry comme d’ailleurs tous les autres meneurs des évènements.
A sa sortie de prison, ayant été informé que certains caciques du pouvoir cherchaient à lui nuire, il s’est réfugié au Sénégal pour demander l’asile, ce qui lui a été accordé.
Quelques années après, au cours d’un passage du Général Lansana Conté à Dakar, il lui aurait donné de l’argent pour aller s’installer aux USA comme Kébé le souhaitait à l’époque, mais au lieu des USA, ce dernier est allé vivre à côté de ses amis Gambiens dont un est présentement ancien président.
Si le président a fait tout ça pour mon client, c’est qu’il lui reconnaît ses bienfaits et c’était une façon de lui dire merci mon fils.
Une autre preuve de ce que je dis, c’est qu’après lesdits événements, tout le monde sait que mon client avait été traité de traître par les éléments de l’aile dure du mouvement et rejeté par la grande majorité de sa communauté. Et après sa reprise en 2011, il a continué à vivre l’enfer dans les rangs, à cause de la méconnaissance de son rôle dans les événements. Il a fallu l’arrivé du CNRD au pouvoir pour qu’il commence à mieux respirer.
Lorsque j’ai entendu le nommé Cécé lors du procès du 28 septembre dire qu’il est rejeté par sa communauté, j’ai pensé à Kébé et je l’ai appelé pour avoir de ses nouvelles. Lorsqu’il m’a raconté ce qu’il a enduré avec l’ancien commandement militaire, j’ai failli pleurer, mais connaissant la foi de l’homme, je me suis abstenu. Quand il m’a dit qu’il souhaiterait rencontrer certains hauts dignitaires de l’ancien régime pour leur dire je le cite : « L’homme propose et Dieu dispose », je lui ai dit de laisser tomber car Dieu a déjà jugé.
Qu’est ce qui justifiait cette haine et ce mépris à l’endroit de votre client ?
Vous oubliez que l’acte de mon client a permis la stabilité du pays, puisque même au sein du groupe qu’il commandait, la majorité était contre l’assassinat du Général comme les durs du mouvement le souhaitaient. Et c’est là que je rejoins le Colonel Claude Pivi, lorsqu’il dit que le Général devrait être conduit aux usines militaires. C’est bien vrai ! Mais c’est Kébé qui a refusé parce qu’il n’avait pas été associé à cette décision auparavant. Et c’est là qu’il a compris qu’en lieu et place de leur noble mission, d’autres voulaient autre chose à son insu. Sur le coup, il a parlé franc jeu avec le Général qui, lui aussi, avait compris l’intention des autres. Ce dernier a promis à mon client qu’il accepte tous leurs points de revendication au nom de la stabilité du pays.
Après avoir bombardé le Palais pendant 48 heures, vous pensez toujours que ce n’était pas un coup d’État ?
Moi aussi, je m’étais posé cette question, mais c’est lorsque j’ai parlé avec mon client que j’ai bien compris cette affaire. Comme je l’ai dit plus haut qu’il cherche quelqu’un pour l’aider à arranger ses mémoires pour faire un livre, je ne vais pas rentrer dans tous les détails, mais je vous donne déjà cette information : les évènements des 2 et 3 février 96 ne sont pas un mouvement spontané comme on nous l’a fait croire, c’est une action qui a été minutieusement préparée par un groupe dont mon client faisait partie. C’étaient des jeunes qui voulaient malheureusement se venger des commanditaires de l’assassinat de leurs parents le 4 juillet 1985.
Le 2 février 96, après non seulement l’arrestation du Ministre de la Défense de l’époque et le premier entretien de mon client avec le Général, certains du groupe avaient demandé au Lieutenant Kébé d’aller arrêter un autre officier dont je tais aussi le nom, qui loge dans les environs de Yimbaya et qui est supposé être un des cerveaux moteurs de l’exécution des éléments du 4 Juillet 85, ce qu’il a refusé, disant que cela n’était non seulement pas prévu, mais risque aussi de fragiliser le groupe. A partir de là, l’union sacrée du groupe a volé en éclat, et deux sous-groupes se sont constitués. Ceux qui se sont retirés sont allés avec d’autres former le sous-groupe considéré comme ceux qui défendent les intérêts de ceux qui veulent se venger et celui de mon client comme ceux qui ont trahi.
Si vous suivez très bien la vidéo des évènements, vous entendrez mon client à l’époque, porte-parole des mutins, dire au Général Lansana Conté qu’il cherche un arrangement possible avec ce dernier et parmi les points de revendication cités entre autres, il demandera le départ de tous les membres du gouvernement, le fameux bulletin rouge et la nomination de certains officiers de confiance à des postes stratégiques. Si vous l’écoutez bien, il n’a pas demandé le départ du président, mais celui du gouvernement et un arrangement possible avec le Général.
Tout commença à partir de là-bas, l’aile dure du mouvement s’opposera à lui et demandera non seulement le départ du président, mais aussi l’arrestation de l’officier auquel j’ai fait allusion plus haut, mais il restera toujours dans sa logique contre vents et marées et surtout malgré l’éclatement du groupe.
En ce qui concerne le bombardement du Palais, vous aviez entendu aussi mon client dire au Général avec hésitation ou par respect pour sa personne je le cite, : « Mais si… , mais si… ». C’était une façon de lui dire si les points de revendication ne sont pas respectés à la lettre, nous serons obligés de passer à la vitesse supérieure y compris l’utilisation des grands moyens.
C’est pourquoi à son retour le soir avec les blindés au Palais, il était question d’ouvrir le feu sur le Général qui était sur le balcon, ce que le tireur a refusé avant que Kébé ne sorte de l’engin pour le frapper à sang. Vous pouvez demander la confirmation aux gens qui étaient ce jour-là dans les blindés au Palais, puisqu’ils sont venus le dire à la barre comme témoins à charge contre mon client. C’était un Kissien d’ailleurs de courte taille. Lorsque cette tentative a échoué et voyant l’obstination du Général de ne pas aller ce jour au Camp Alpha Yaya Diallo, il rebroussa chemin pour aller chercher les canons dans son unité comme lui-même est un artilleur et un très bon artilleur. Le Commandant Yaya SOW vous le confirmera.
A l’époque, ce dernier était considéré en outre comme l’un des meilleurs sinon le meilleur artilleur de la sous-région et Kébé était son petit et son homme de confiance sur le plan de l’artillerie. C’est pourquoi il l’a placé devant le mouvement comme chargé des opérations.
Mais qui a bombardé le Palais ?
J’en venais à ça. Le Palais a été bombardé à plusieurs reprises. La première fois, c’était le vendredi 2 février vers 19H 45′ par mon client et son collègue le lieutenant Wanwaran. La deuxième fois, vers minuit, encore par mon client et un certain Diakité.
Avec le char de combat, la troisième fois vers 2H du matin par mon client et son collègue le Lieutenant Makane. La quatrième fois, au petit matin du 3 février par le renfort de Kindia, la cinquième fois par les orgues de Staline à partir du Camp Alpha yaya. Et la dernière fois, par les mêmes orgues de Staline à partir de Kaloum. Vous vous rendez compte de l’enfer qui a plu sur le Palais. Malgré tout, le Général est sorti vivant, à cause de la baraka. Et lorsque mon client, en tant croyant a vu tout ça et surtout après son entretien avec le Capitaine Abdourahamane Kébé encore en vie et le Commandant Nfamara Oularé, a décidé de se défaire de l’esprit de vengeance qui le rongeait et de mettre tout ça au compte du destin.
Mais malgré tout ça, il a arrêté le Général et l’a conduit au Camp…
A ce niveau, il y a beaucoup de secrets que les gens vont découvrir dans son livre, mais en attendant, je vous dis que lorsque Kébé est rentré vers 4 heures du matin avec les chars, il s’est couché sur l’un de ceux-ci et a dormi, au cours de son sommeil, il a fait un rêve bizarre sur la situation. A son réveil, il aperçoit directement son cousin, le Capitaine Abdourahamane Kébé qui s’approche de lui pour lui parler de la situation de Oularé. Ensuite, il parle avec le Commandant Nfamara et enfin avec le Commandant Aly Badara à l’époque commandant du Bataillon char et commandant de la Branche loyaliste. Je vous précise que le Capitaine Abdourahamane Kébé, qui était aussi mon client, avait joué un grand rôle dans le dénouement de cette affaire. C’est de là-bas que même ses hommes qui s’étaient séparés de lui à cause du bombardement du palais l’ont rejoint pour aller lancer la dernière offensive sur le palais afin de contraindre le général à venir au Camp pour discuter avec eux. Dieu faisant, ce dernier, voyant l’ampleur du bombardement sur le Palais, cherchait lui aussi à se rendre à un des groupes assaillants en l’occurrence le groupe de mon client.
C’est ainsi qu’au cours de leur offensive, ils ont aperçu un militaire en train de soulever un drapeau blanc, c’était un certain Oumar Keita et c’est ce dernier qui viendra informer KEBE que le Général est prêt à se rendre à son groupe sans condition. C’est ainsi qu’il l’embarquera avec lui et d’autres dans son véhicule pour le conduire au Camp Alpha Yaya Diallo où ses chefs l’attendaient déjà. Par ce que le General Conté était déjà informé que le commandant du bataillon chars Aly Badara Soumah n’était pas d’accord avec son ami de promotion Yaya Sow. Il s’est désolidarisé du groupe en positionnant les chars dans tous les coins stratégiques du camp alpha Yaya. Je peux me permettre de dire que c’est grâce à mon client KEBE, le commandant Aly Badara Soumah, lieutenant Mamadou Diallo WANWARAN, et les amis de promotion d’Ousmane Conté que ce coup avait échoué
Moi, j’ai défendu Kébé par conviction et par pitié, pas pour de l’argent. Sa famille le sait, même sa femme à l’époque et sa grand-mère Hadja Ramatoulaye Bangoura qui vit à Sandervalia à Kaloum, c’est pourquoi il s’est ouvert à moi pour me dire toute la vérité. Beaucoup de mystères abritent ces évènements, par exemple, j’ai été très surpris lorsque mon client m’a raconté le calvaire qu’il a vécu avec le régime du président Alpha Condé alors que si vous lisez l’interview que ce dernier avait accordé à Rachid N’diaye dans le journal Africa international numéro 315, il a clairement dit que s’il n’a pas été arrêté dans les événements des 2 et 3 février 96, c’est bien grâce à mon client qui a refusé de le designer comme l’instigateur de ce mouvement comme certains barons du pouvoir de l’époque l’avaient suggéré. Je vous précise que mon client en tant qu’officier et homme de parole a toujours privilégié l’unité nationale. C’est pourquoi, quelques temps après sa sortie de prison, ils avaient voulu encore l’arrêter pour définitivement régler son compte, n’eut été certains de ses proches qui l’ont dissuadé de quitter le pays. Je tais encore les noms, mais si vous partez maintenant au Bata et vous demandez à quelques éléments de l’ancienne garde du Général, ils vous diront que c’est vrai et qu’un civil leur avait même lancé une grenade dans la recherche de mon client. Le général sekouba Konaté aussi a été arrêté puis libéré, il été muté à Labé.
On nous apprend que Kébé avait été fortement récompensé par le Général qui lui avait donné à l’époque beaucoup d’argent. Le confirmez-vous ?
Kébé est actuellement en Guinée. Vous pouvez le rencontrer et il vous donnera beaucoup plus de détails. C’étaient ces rumeurs qui couraient à l’époque, c’était de la désinformation, de l’intox distillé par des éléments du groupe qui était opposé à lui.
Vous-même, vous aviez vu ici la récompense que le régime déchu avait octroyée à certains éléments de l’autre groupe qui étaient considérés comme les défenseurs de la communauté. Parmi eux, certains avaient bénéficié pendant les 11 années de pouvoir du président Condé de 4 à 5 avancements en grade alors que lui, difficilement, il a pu en obtenir un. Ce qui donne raison au Président paysan lorsqu’il disait que les politiques étaient derrière cette mutinerie.
Lorsque la vérité éclatera un jour après le livre de Kébé, les Guinéens seront très déçus de certains politiciens qui ont passé tout leur temps à déstabiliser ce pays.
Je connais tous les coins et recoins de ce procès comme la paume de ma main pour avoir défendu quelqu’un qu’on a voulu manipuler malgré lui et qu’on a chargé en le qualifiant de tous les noms d’oiseaux, mais Dieu a rendu justice.
Nous avons appris à l’époque à travers certains Guinéens vivant à Dakar que Kébé a eu des problèmes avec le gouvernement sénégalais avant de quitter ?
Contactez le concerné lui-même. Il pourra vous donner plus de détails à propos, mais je peux vous dire qu’à un moment, il avait manifesté dans une lettre adressée au président Gbagbo à l’époque à travers Madame l’Ambassadrice de la Côte d’Ivoire au Sénégal son désir d’aller apporter son soutien à celui-ci. C’est cette lettre qui a été interceptée par la sécurité de là-bas et transmise aux autorités sénégalaises
Merci, Maitre Fodé Abass Bangoura !
Au plaisir !
interview réalisée par Abdoul Latif Diallo
Journaliste d’investigation